Certaines âmes ne connaissent jamais le salut.
Dans tes rêves tu trouveras la damnation
car cette nuit sera la dernière.
Passeuse sur l'Achéron,
point d'obole pour me satisfaire,
je prendrai directement ton corps,
pour paiement de mon salaire.
Je donnerai à ton corps le repos éternel.
Et c'est dans la fièvre de mes baisers
que je te ferais mienne.
Cette rivière est sans fin
et aussi vrai que je suis née de Nyx
je te promets que jamais
tu ne passeras le Styx.
[ Rest in peace. ]
***
Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie
Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.
Suis-je Amour ou Phébus ? ... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron ;
Modulant tout à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.
Gérard de Nerval, Les Chimères (1854)